Le métier de tapissier dans le secteur du bâtiment est depuis longtemps oublié. L’agence d’architecture Grand Huit avec des artisans, tous engagés et inventifs, ont su démontré à travers le projet des Canaux que ses savoir-faire autour de la découpe, de l’assemblage et de la couture de membranes avait un avenir durable et leur place dans le développement d’une construction éco-responsable et bio-climatique.
Léger, flexible, esthétique, facile à assembler, variés en texture, en épaisseur, en opacité, parfois avec des performances thermiques et acoustiques, les textiles ouvrent un champs créatif infini au service des enjeux contemporains de l’architecture : se protéger du soleil, s’isoler, créer des espaces modulaires et flexibles, tout cela avec des assemblages purement mécaniques dé-constructibles.
En dehors des caractéristiques physiques des textiles, favorables à une construction édifiée selon les principes de l’économie circulaire, il y a aujourd’hui un enjeux environnement majeur autour de ces matériaux. Souvent cité comme un l’une des industries les plus polluantes (Jusqu’à 4 milliards de tonnes de CO2 par an dans le monde d’après l’ADEME), l’industrie du textile est une grande productrice de déchets. À titre d’exemple : la collecte des textiles usagés s’est élevé à 244 500 tonnes en 2021 en France (chiffre du ministère de l’écologie, textiles collectés par l’éco-organisme Refashion).
Pour le projet de la Maison des canaux, l’agence d’architecture Grand Huit a été à la rencontre d’artistes et artisans locaux, acteurs de l’économie circulaire, spécialisés dans ces textiles mis au rebus. Pour la plupart, leurs créations portaient initialement sur l’habillement, le mobilier ou la décoration d’intérieur. La rencontre avec Grand Huit a permis de développer à l’échelle du bâtiment leur activité au travers de co-créations originales : des cloisons amovibles acoustique, des tentures en finition de doublage isolant, des stores, des clôtures, des rideaux occultant… Une cohérence architecturale et chromatique avec la scénographie réalisée en 2017 aux étages du bâtiment de la Maison des Canaux et la chartre graphique des Canaux y a été à chaque fois développées.
Les résilientes
Lancé en janvier 2017, Les Résilientes est un studio de design en milieu d’insertion professionnelle dont l’objectif initial est de créer collectivement des collections d’objets à partir des gisements de matière issus des dons faits à l’association Emmaüs Alternatives et qui ne peuvent être vendus ou redistribués en l’état. Les résilientes ont réalisés de nombreuses ouvrages dans la Maison des Canaux. Le studio y a aussi animé une formation au métier de tapissier circulaire, dans le cadres des chemins du bâtiment circulaire.
Les cloisons amovibles du rez de chaussée
La grande salle du rez-de-chaussée du bâtiment a vocation à accueillir le public sous différentes formes d’évènements : conférences, marchés éphémères, petits ateliers, réunions… Pour que ce grand espace puisse endosser toutes ces fonctions dans le temps, la création de cloisons acoustiques amovibles a été imaginés, permettant de créer jusqu’à 3 espaces distincts : deux petits salles d’atelier ou de réunion et un espace plus important pouvant servir à de multiples usages.
La cloison est formée d’un isolant acoustique de la marque Métisse d’un dizaine de centimètres, enfermé en sandwich entre deux tentures en tissus, réalisées sur mesure par les résilientes. Ce complexe est fixé par l’intérieur à une ossature métallique qui se lèvent manuellement via des poulies. L’ensemble de la structure métallique et le système de levage ont été réalisé par Général Métal Edition selon le système de pendrillons de théâtre.
Métisse® est une gamme d’isolation thermique et acoustique pour le bâtiment fabriqué par le Relais à partir coton recyclé issu de vêtements « en fin de vie ». Le Relais, membre d’Emmaüs France, est un réseau d’entreprises qui agit pour l’insertion de personnes en situation d’exclusion, par la création d’emplois durables et locaux.
Les tentures ont été réalisées selon une technique déjà développée par les résilientes sur des éléments de mobilier : un tissu en toile de fond et des tissus découpés en petit éléments carrés réguliers, qui sont ensuite assemblés et redécoupés minutieusement pour obtenir le résultat final particulièrement graphique. Cette technique permet d’utiliser des petites chutes de tissus ou de découper dans des vêtements trop abimés ou tachés les parties intéressantes. Un travail sur les camaïeux de couleurs permet d’obtenir un résultat homogène et esthétique. Un tissu bleu donné en grande quantité par le Jacquard Français, qui présentait un défaut de fabrication, a servi de toile de fond. Les résilientes ont fait, par la suite, une sélection, celons un camaïeu de bleu et blanc parmi les vêtements « déclassés » par Emmaüs. Le résultat final, aux couleurs de l’association, peut évoquer, par son motif, la surface de l’eau du Canal.
Les tentures de part et d’autre de la cloison présente deux tonalités : la plus claire a été choisi pour la face visible depuis l’intérieur des deux petites salles de réunion. Quand les cloisons sont levées, cette face est également visible depuis le plafond. Les teintures ont été pulvérisés avec un traitement pour la réaction au feu permettant de respecter la réglementation.
Des moquettes en tapisserie pour un complexe isolant en construction sèche
Pour l’amélioration des performances énergétique du bâtiment, l’isolation intérieur de bâtiment a été mise en place au rez-de-chaussée et au premier étage. Le deuxième étage avait été isolé lors de la première phase des travaux en 2017.
Il a été choisi de mettre en œuvre deux techniques différentes à chaque niveau afin d’expérimenter plusieurs possibilités d’isolation intérieure vertueuse.
Au rez-de-chaussée, un complexe biosourcé et géosourcé local a été mis en place : isolant en coton recyclé ©Cotonwool (encore du tissu !), des lattis bois et enduit plâtre (pour en savoir, c’est par ici)
Au premier étage, la contrainte du chantier occupé à ce niveau du bâtiment a conduit au choix de tester un doublage isolant entièrement en construction sèche : préfabriqué, sans aucun liant, sans poussière, sans temps de séchage et entièrement démontable !
Le complexe isolant mis en place est composé de laine de verre en réutilisation, d’un pare-vapeur et de tasseaux de bois fixé au mur, sur lesquels une moquette, sur-cyclé par les Résilientes, a été tendu par cloutage.
© APIJ-BAT
L’ensemble a été posé par Apij-Bat, entreprise d’insertion, spécialisée dans les techniques de construction éco-responsable. Dans l’embrasure des fenêtre, l’épaisseur disponible était trop fine pour le complexe. Du liège a été posé pour éviter les ponts thermiques. Pour l’anecdote : les chutes de ce liège on servit pour les chapes allégées coulées au RDC.
La laine de verre est issue d’une déconstruction de Pantin OPPIC dans le 20ème arrondissement et a été acheté sur la plateforme de réemploi Réavie.
Les moquettes sont issues de salon d’exposition. La plus-part du temps à usage unique, ces moquettes sont un flux quasi-continue donné à Emmaüs. Pour le projet des Canaux, elles ont été surpiquées par différents lignes de biais aux couleurs de la Maison des Canaux, qui évoquent les lignes des perspectives parisiennes. Le revers de la moquette a été mis en face visible. Plusieurs prototypes ont été présentés en amont pour arriver à ce choix. Un traitement à la réaction au feu a été appliqué par pulvérisation
© Ville de Paris © Ville de Paris © Ville de Paris © Erwan Floch © Mathieu Delmestre
On retrouve également la même moquette au rez-de-chaussée, cette fois-ci pour une autre usage. Découpée et cousue en lanière, peinte en blanc, elle forme de grandes ventelles, qui permettent à l’air de circuler dans le système de ventilation caché derrière. Beaucoup de visiteurs se méprennent en pensant qu’il s’agit de cuir !
© Mathieu Delmestre © Mathieu Delmestre
Les Rideaux occultant
Dans la grande salle du rez-de-chaussée, ont lieu beaucoup de projections parfois en journée ou les soirées lumineuses d’été. Le bâtiment exposé sud-ouest, nécessitait donc l’installation d’occultation amovibles. Un enjeu esthétique était aussi important car les fenêtres à occulter étaient nombreuses et très grandes.
Les résilientes ont conçu des rideaux constitués de 3 couches. La membrane centrale est en bâche textile ((polyester, polyuréthane), trouvée sur la plateforme de réemploi La réserve des arts et permet l’occultation. Les 2 couches extérieures visibles sont constituées de draps issus du gisement Emmaüs, 100% coton. Les draps sont également un grand gisement de Emmaüs souvent difficilement redistribuable car taché ou déchiré. Ce sont souvent des tissus de grand qualité avec des couleurs dans les camaïeux de blanc et écru, qui se marient très bien avec la sobriété des enduits du Rez-de-chaussée. Seules les parties intactes des draps ont été conservées et un calepinage a été créé sur le modèle de celui de la moquette à l’étage. Des liserés bleus ont été cousus aux jonctions à partir du tissu provenant du don du Jacquard Français, utilisé aussi pour les cloisons amovibles adjacentes. Pour l’anecdote, on peut apercevoir parfois, entre les fronces des rideaux, les broderies des initiales des anciens propriétaires des draps !
© Mathieu Delmestre © Mathieu Delmestre © Mathieu Delmestre
Toujours sur le thème des rideaux, les résilientes ont également réalisé un rideau pour l’intimité des sanitaires, à partir de voilages texturés par thermo-chauffage.
La tête dans les nuages
Le bâtiment est sur sa terrasse et sa façade principale exposée plein sud. La mise en place de voilage d’ombrage sur la terrasse et de stores sur les fenêtres étaient nécessaires pour le confort d’été.
Ces équipements, un peu techniques, ont donné du fil à retorde pour trouver la bonne solution en économie circulaire ! Des premiers essais ne se sont pas révélés concluants (essai par Stu-dio de bâche thermocollée à partir d’emballage de matériel informatique, voiles de rideau par les résilientes…). C’est finalement avec La tête dans les Nuages qu’une solution a été trouvée.
Depuis 2016, l’entreprise fabrique des coussins à partir de toiles de montgolfière et bâche publicitaire. D’ailleurs, ces coussins faisaient déjà le bonheur des employés de la maison Canaux depuis de nombreuses années.
Les montgolfières ont une durée de vie limitée. Bien qu’elles ne puissent plus répondre à leur fonction d’étanchéité à l’air, les toiles conservent leur résistance et leur qualité, et le vieillissement de leurs couleurs leur donne des teintes pastel uniques. Le matériau parfait était trouvé ! Un dessin a été fait sur les tons bleus et jaunes de l’association pour les stores, le bleu a été choisi pour la terrasse. Chaque toile a été doublé pour augmenter la performance de protection solaire.
Gilbert a construit la structure des stores et Général Métal la structure des voilages d’ombrages rétractable de la terrasse.
© Mathieu Delmestre © Mathieu Delmestre
Frizt Jacquet Junior
L’artiste Frizt Jacquet Junior est un habitué de la Maison des Canaux. Il avait déjà réalisé lors de la première phase en 2017 de nombreux luminaires. Junior Fritz Jacquet plie, froisse et modèle, sans aucun collage ni découpe, des papiers sulfurisés mis au rebu à cause de défaut. Pour cette phase des travaux, il y a mis en place avec les acteurs du chantier un faux plafond rétractable qui masque avec élégance les échangeurs de la ventilation.
© Wild Times Record © Mathieu Delmestre © Wild Times Record
Laurentine Perilhou
Laurentine Perilhou est spécialisée dans les techniques de macramé depuis 2009 et a réalisé le « grillage » des portails extérieurs à partir de cordes d’escalade obsolète. Le cadre des portails a été fabriqué par Général Métal Edition, il se coulisse ou se soulève manuellement avec des manivelles sur le même système que les cloisons intérieures amovible.
© Mathieu Delmestre © Mathieu Delmestre