Isolation de la salle du RDC

La maison Les Canaux est un établissement recevant du public (ERP) de 5ème catégorie (RDC) et un établissement recevant des travailleurs (ERT) (1er et 2ème étage). Sa réhabilitation prévoit une amélioration de l’isolation intérieure du bâtiment pour diminuer les consommations d’énergie de 50%.

Ce bâtiment étant un des témoignages industriels, l’agence d’architecture Grand Huit, notamment l’architecte Clara Simay en charge du projet les Canaux, a souhaité pour l’isolation, l’esthétique et le confort des usagers de recourir à l’enduit de plâtre.

Elle a proposé dès lors à la Ville de Paris de réhabiliter une technique parisienne ancienne d’isolation intérieure des murs : la réalisation d’un écran thermique constitué d’un lattis bois et d’un enduit de plâtre local francilien. Cet écran vise à protéger du feu durant 1/4 heure, un isolant biosourcé composé de coton issu du recyclage de textile effiloché (85% de jeans) fabriqué en France.

La pose d’enduit de plâtre sur un lattis de bois est une pratique fréquemment retrouvée dans les bâtiments parisiens à partir du 16ème siècle, avant l’avènement de la plaque de plâtre. L’écran thermique se situe donc dans la continuité des techniques ancestrales utilisées à Paris.

Le saviez-vous ?

L’île de France contient des réserves abondantes de gypse et ce, depuis très longtemps. Au XIIIe siècle à Paris, on compte presque une vingtaine de carrières de gypse dont Montmartre et Belleville sont parmi les plus importantes – elles avaient la réputation de fournir un excellent plâtre (obtenu à partir de  gypse et d’eau).

Vue de la carrière de plâtre de Montmartre

Les propriétés ignifuges du plâtre ont séduit les constructeurs et les architectes à ce moment-là. Raoul Boutrays soulève dans son livre Lutetia (1624) :

Le plâtre est si utile dans la construction de nos maisons que, par l’éclatante blancheur dont il les revêt, il fait de Paris une ville de plâtre. C’est à cette matière froide qui brave les atteintes de la flamme que notre cité doit sa tranquillité contre les accidents du feu.

Suite à l’incendie dramatique de Londres en 1666 et pour éviter ce sort funeste à Paris, Louis XIV a décidé de rendre obligatoire le plâtre en enduit intérieur et extérieur compte tenu de son abondance en Ile de France et de ses propriétés ignifuges. Dans son ordonnance du 18 août 1667, il enjoignait de « faire couvrir les pans de bois de lattes, clous et plâtre tant dedans que dehors, en telle manière qu’ils soient en état de pouvoir résister au feu ». C’est la raison pour laquelle nous retrouvons cet écran thermique dans de nombreux bâtiments parisiens. 

Intérêt environnemental de l’écran thermique « enduit de plâtre sur lattis bois »

Cet écran thermique est 100% bio et géosourcé :

  • L’ossature primaire et le lattis en bois : le bois est biosourcé.
    L’ossature est en bois massif.
    Les lattis sont en bois massif (ex : châtaignier ou chêne très répandu en Ile de France), refendu ou scié, en neuf ou en réemploi, dans la mesure où leurs propriétés physiques sont acceptables. 
    Les petites sections et longueurs des lattis facilitent la recherche et l’adaptation de bois en réemploi.

Cet écran thermique est à faible impact environnemental :

  • il réduit les consommations d’énergie grise et de carbone en substituant le treillis métallique habituellement utilisé pour l’enduit de plâtre par des lattis en bois ;
  • il peut être associé à des isolants biosourcés combustibles ;
  • il provient d’un processus industriel plus léger que celui de la plaque de plâtre et sa fabrication et sa pose relève d’un savoir-faire local artisanal;
  • il présente un aspect fini, contrairement à la plaque de plâtre. Cela évite de recourir à des peintures rarement neutres sur le plan écologique et à l’enduit de lissage.
  • Il peut être entièrement et plus facilement recyclé dans la mesure où il ne contient ni peinture, ni enduit de lissage.

Démonstration de la résistance au feu de l’écran thermique

Pour être utilisé, l’écran thermique doit répondre aux exigences des réglementations de lutte contre l’incendie actuelles (exemple pour des bâtiments recevant du public, l’article de l’AM8 de l’arrêté du 25/06/1980 modifié) afin de garantir la sécurité du public et des travailleurs.

En effet, l’article AM8 indique les écrans thermiques autorisés (seule l’utilisation d’enduit plâtre sur un treillis métallique est mentionnée ce qui facilite grandement sa prescription) et exige la réalisation d’un essai au feu par un laboratoire agréé pour ceux qui ne sont pas admis.

C’est la raison pour laquelle la Ville de Paris a décidé de réaliser un essai de résistance au feu pour l’écran thermique constitué à base d’enduit de plâtre et de lattis bois avec deux principaux objectifs : 

  1. le projet de réhabilitation Les Canaux : disposer d’un complexe isolant 100% bio-géo sourcé, avec une part de réemploi (isolant a minima) ;
  2. plus globalement : démontrer le caractère « coupe-feu » de l’écran thermique quel que soit l’isolant combustible sous-jacent pour l’isolation intérieure des parois verticales de bâtiment.

La Ville de Paris a sollicité :

  • Arthur Hellouin de Menibus, chercheur en sciences des matériaux et spécialiste des matériaux biosourcés et locaux. Il a contribué à la conception et au suivi de l’essai au feu.
  • Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) pour la réalisation de l’essai et disposer d’une appréciation de laboratoire agréé. Le dossier a été porté par la direction Sécurité Structure Feu du CSTB.

Le saviez-vous ?

L’appréciation de laboratoire agréé constitue un avis d’expert d’une durée de validité illimitée sur des solutions s’écartant du cadre des essais réglementaires, en matière de résistance au feu.

Les performances de résistance au feu des produits, éléments de construction et d’ouvrages sont caractérisées par des essais conventionnels afin de satisfaire à une exigence réglementaire en termes de sécurité incendie. Au-delà, pour permettre de couvrir des domaines d’applications étendues (variantes constitutives, gammes dimensionnelles de produits, etc.) ou pour répondre à un besoin lié à un ouvrage spécifique (cas des avis de chantier), il est parfois utile d’adapter les essais conventionnels afin de les rendre pertinents vis-à-vis du besoin exprimé.

La réglementation admet que, dans ce cas, l’appréciation de laboratoire agréé puisse déterminer les performances de résistance au feu de l’élément de construction en :

  • Utilisant l’expérience acquise en matière d’évaluation du comportement au feu,
  • Exploitant les connaissances acquises lors des incendies,
  • Se basant sur des résultats d’essais conventionnels ou particuliers,
  • Évitant le recours systématique aux essais.

La conception de l’essai a été réalisée à partir d’échanges entre la Ville de Paris (Isabelle Lardin en lien avec les conducteurs du projet Christelle Davrieux et Yassine Benotmane), Arthur Hellouin de Menibus, l’architecte (Clara Simay), le dirigeant de l’entreprise Plâtre Vieujot fournisseur du chantier Les Canaux (Marc Potin), un plâtrier d’Ile-de-France (Jean Moreil) et Romuald Avenel afin de représenter au mieux ce qui va être réalisé sur le chantier tout en étant compatible avec les contraintes du laboratoire (dimensions, procédure d’essai).

Le CSTB a appliqué ensuite la démarche décrite dans le synoptique logigramme ci-joint et retenu 4 alvéoles.

A l’issue de ces réflexions, la Ville de Paris a validé la réalisation de : 

1 - Un essai au feu dans le but de tester 4 configurations différentes. 

 IsolantOssature boisLattis boisEnduitEpaisseur totale paroi
Alvéole 1MétisseClasse 2 - Entraxe 45 cmChâtaignerPlâtre & chaux 18 mm128 mm
Alvéole 2PolystyrèneClasse 2 - Entraxe 60 cmSapin Classe 2Plâtre & chaux 18 mm136 mm
Alvéole 3MétisseClasse 2 - Entraxe 60 cmSapin Classe 2 Plâtre & chaux 18 mm136 mm
Alvéole 4MétisseClasse 2 - Entraxe 60 cmSapin Classe 2 Plâtre pur 15 mm133 mm

Tableau 1 : Configuration des 4 alvéoles

Un enduit plâtre et chaux a été testé dans le but de démontrer une équivalence en termes de coupe-feu entre enduit plâtre et enduit plâtre et chaux (jusqu’à 15 % en masse de chaux), tant que l’on atteint la même masse de plâtre par unité de surface.

Arthur Hellouin de Menibus a préparé les éléments de la maquette avec des artisans : lattes de châtaignier refendu, achat des fournitures…

Puis il a fabriqué les maquettes (ossature, lattis et isolants) avec M. Moreil (pose de l’enduit plâtre) dans les installations pyrotechniques dédiées aux essais de Résistance au feu du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, implanté sur le site de Champs s/marne.

Fendage de lattes de châtaignier Crédit photo : Christophe Roy par M. Roy

Figure 1: Position des alvéoles dans la maquette

2 - Plusieurs thermogrammes pour couvrir un large spectre d’isolants combustibles, biosourcés ou non.

5 natures d’isolants complémentaires à celle retenue pour le chantier Les Canaux (isolant en coton à base de textile recyclé) sont testées.

En effet, selon l’arrêté du 25/06/1980, les isolants satisfaisants sont ceux pour lesquels la température mesurée sur la face non exposée de l’écran est inférieure à la température de fusion ou de pyrolyse de l’isolant au temps de classement recherché. Celle-ci est soit donnée par analyse thermogravimétrique sur la base de 5% de perte de masse, soit issue des valeurs de la littérature.

Pour couvrir toute la gamme d’isolants combustibles possibles, Arthur Hellouin de Menibus s’est notamment appuyé sur une comparaison basée sur l’énergie à apporter pour une élévation de température donnée, la masse volumique et la nature des isolants.

DésignationMatériauxNombre d’isolant testé
PolyuréthanePolyuréthane1
Coton recycléFibres textiles recyclées à 85% - liant polymère2
Plâtre-ChanvrePlâtre et Chènevotte1
Fibre de boisBois ignifugé - liant polymère1
Polystyrène extrudéPolystyrène extrudé1
Laine de chanvreChanvre pur - sans liant polymère1

Tableau 2 : Liste des natures d’isolant testées

Après un délai de 3 semaines nécessaires pour que le plâtre sèche, l’essai au feu de l’écran thermique a été programmé le 7 juin 2021 au sein du CSTB, en présence de M. Baudrier, adjoint à la maire de Paris en charge de la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition écologique du bâti.

Les thermogrammes ont été réalisés par le CSTB à Grenoble du 8/06/2021 au 10/08/2021.

Le CSTB a analysé l’ensemble de ces résultats et soumis ses conclusions à l’ensemble des personnes concernées et le bureau de contrôle de l’opération de réhabilitation de la maison les Canaux, l’APAVE (Laurent Dandres), pour tenir compte de la mise en application de cet écran thermique sur le chantier ainsi que de la volonté de la Ville de Paris de réaliser les lattis à partir de bois de réemploi.

Les résultats :

L’écran thermique, décrit dans l’appréciation de laboratoire agréé de l’essai au feu, satisfait aux critères de performances requis pour un classement EI 30, conformément aux dispositions de l’article AM 8 de l’arrêté du 25 juin 1980 modifié et de l’article 16 de l’arrêté du 31 janvier 1986 modifié. Et ce, pour les 4 configurations expérimentées.

L’écran thermique est classé EI 30 pour les parois verticales et peut être mis en œuvre devant un isolant thermique et acoustique de type A2-s1-d0 ou tout autre isolant combustible dont la température de pyrolyse est supérieure à 100°C.

L’écran thermique répond donc aux différentes exigences définies par les règlements de lutte contre l’incendie :

  • Habitation,
  • Établissement Recevant du Public (ERP),
  • Établissement Recevant des Travailleurs (ERT).

Les 7 isolants testés sont compatibles avec cet écran thermique.

Pour utiliser ce type d’écran thermique, seul le justificatif de preuve (au sens de l’article 18 de l’arrêté du 22 mars 2004 modifié), c’est-à-dire l’appréciation de laboratoire agréé fait foi car elle permet de démontrer au bureau de contrôle que la configuration utilisée sur le chantier est bien conforme aux exigences de la réglementation de la lutte contre l’incendie. 

La Ville de Paris a obtenu un financement à hauteur de 18 830 € de la Région Ile de France via le dispositif Réflexe Bois-Biosourcés pour réaliser cet essai au feu.

Revenir en haut de page